Interview portrait d’Ilya Green, auteure et illustratrice jeunesse
Vous ne la connaissez peut-être pas mais vous avez certainement déjà vu ses images. Le trait rond, des visages lumineux au regard expressif, l’intensité des couleurs dans un décor où la nature est abondante et joyeuse. Un monde onirique qui laisse rêveur.euse.s petit.e.s et grand.e.s. Rencontre avec Ilya Green, auteure et illustratrice de littérature jeunesse.
Commençons par ton parcours. Comment es-tu devenue auteure et illustratrice jeunesse ? As-tu toujours voulu l’être ?
Je voulais faire beaucoup de choses… Quand j’étais jeune, je rêvais d’être danseuse, ethnologue ou cinéaste.
Je me suis d’abord orientée vers des études de lettres modernes, dans l’ambitieuse optique de passer le concours de l’école de cinéma La Fémis. Puis, n’étant pas très adaptée aux études universitaires, j’ai bifurqué vers les Beaux Arts à Aix en Provence et ensuite à Marseille, après en avoir discuté avec un copain qui y était entré. À l’époque, on n’avait pas internet, les choix d’orientation se faisaient au gré du bouche à oreille. La formation aux Beaux Arts était très orientée art contemporain, et j’ai passé un diplôme avec des projets d’écriture, vidéo et gravure. Globalement, à Marseille, à cette période, la formation technique était assez faible, on se débrouillait pas mal entre étudiant.e.s. On élaborait des projets assez conceptuels, expérimentaux dans leurs formes, très éloignés des projets narratifs que j’ai menés plus tard pour l’édition jeunesse.
Dans l’atelier d’Ilya Green
Quels cinéastes t’inspiraient ?
Pasolini, Cassavetes, Tarkovski ou encore le cinéma de Dreyer ou d’Eisenstein m’ont beaucoup impressionnée à cette époque. « Sombre » de Grandrieux est un des films qui m’a le plus marquée dans ces années là, aussi…
Les « tentatives » de films que je réalisais aux Beaux Arts étaient un peu comme des rêves, assez oniriques. Tout ça restait assez fragile… J’aurais bien voulu me tourner vers le cinéma documentaire mais j’ai toujours été assez mal à l’aise avec le fait d’utiliser les gens dans mes projets, sans doute par manque de confiance en moi et aussi pour des questions d’éthique, ce dont je me suis rendue compte beaucoup plus tard…
Ce qui ne m’empêche pas d’apprécier énormément le cinéma documentaire d’auteur.e !
Les cinéastes que tu cites proposent une œuvre assez sombre qui contraste beaucoup avec ton travail aujourd’hui d’illustratrice…
Au départ, mon travail d’artiste et d’illustratrice était plutôt sombre.
Plus jeune, mon style était très différent, plus nerveux, j’étais très imprégnée de la peinture symboliste, des dessins d’Egon Schiele, de littérature romantique, j’avais une passion pour les histoires de vampires depuis l’adolescence, j’aimais les histoires de fantômes, bref, tout ce qui m’avait terrorisée quand j’étais gamine…
Et puis, sur le conseil des éditeur.trice.s, et au fil des projets qu’on me proposait, j’ai adapté mes dessins, pour me rapprocher d’un univers plus doux pour les enfants et renoué en quelque sorte avec la petite fille que j’étais. Petite, j’aurais probablement aimé les images que je fais aujourd’hui… mais je ne perds pas l’envie de travailler sur des projets plus inquiétants !
Dans l’atelier d’Ilya Green
As-tu toujours eu le goût de l’écriture et du dessin ?
J’ai toujours dessiné. Petite, j’avais toujours un crayon à la main. L’envie de faire du cinéma, c’était probablement le désir de raconter des histoires…
Mon enfance est restée très vive dans ma mémoire. J’ai perdu ma mère quand j’avais 10 ans et d’une certaine façon, je pense que j’ai sanctuarisé mon enfance pour tenter de ne rien oublier et la garder « vivante ».
À 19 ans, des histoires d’enfants, par bribes, se sont mises à surgir dans mon esprit, sous mes mains… C’est à cette période qu’un soir dans ma cuisine, j’ai écrit ma première histoire qui tenait la route : « Histoire de l’œuf », qui a séjourné ensuite quelques années dans un tiroir au milieu des projets avant de devenir mon premier livre.
À la sortie des Beaux Arts, j’ai fait le bilan de ce que je savais faire, et c’était pas grand chose, à part dessiner et imaginer des histoires d’enfants… Le cinéma me paraissait définitivement un fantasme !
J’ai ressorti ce projet et j’ai passé 15 jours enfermée dans mon atelier à lui trouver une forme illustrée, assez minimale… Il fallait que je trouve un langage graphique, mais n’ayant pas eu de formation en illustration, j’ai bidouillé ça avec les moyens du bord. Je l’ai envoyé à quelques éditeur.trice.s et j’ai eu immédiatement des réponses (surtout pour l’histoire, parce qu’en illustration ma copie était à revoir!). C’est comme ça que je me suis lancée dans la littérature jeunesse.
Pour mon 2ème livre, j’ai obtenu une bourse du Centre national du livre (CNL) qui m’a permis de m’équiper mieux et de payer un loyer d’atelier. C’est comme ça que j’ai intégré l’Atelier Venture à Marseille. Cette expérience d’atelier partagé avec des graphistes et des illustratrices formées aux Arts déco de Strasbourg, a été vraiment déterminante dans mon parcours et m’a aidée à développer mon travail d’illustratrice et à me professionnaliser. On échangeait beaucoup sur nos travaux, ce qui m’a énormément appris. J’ai adoré travailler dans cet atelier !
À quoi ressemblaient tes premiers livres ?
Mes deux premiers livres « Histoire de l’œuf » et « Olga, arracheuse de marguerite » étaient en noir et blanc. C’est mon éditrice qui a suggéré l’ajout d’une couleur, et c’était donc des albums en bichromie…
« Olga, arracheuse de marguerite »
La couleur est venue progressivement dans mes dessins. Je travaillais en mixant dessin à la ligne claire sur papier et colorisation numérique. Pour « Bou et les 3 zours » publié en 2008, j’ai commencé à travailler davantage les décors, je dessinais des éléments sur papier et les numérisais.
Je suis passée à l’illustration sur papier avec le livre « Le Masque » de mon ami Stéphane Servant. Après avoir fait de nombreux livres en colorisation numérique, je me sentais plus à l’aise dans mon style et j’avais envie de m’éloigner de mon ordinateur pour retrouver la vibration et la sensualité de la matière. Mon fils venait de naître, c’était assez périlleux, car je l’avais avec moi et cela me donnait des fenêtres de travail assez étroites et intenses et souvent interrompues. Je ne pouvais pas me planter sur papier, il n’y avait pas de Pomme Z. Je me sentais comme une funambule, d’une certaine façon, je n’avais pas le droit à l’erreur. Et j’ai bien aimé la concentration que ça m’a permis de développer. C’est ce qui me convient le mieux, je crois, cette façon de travailler, sur le fil.
Ensuite avec le livre « Peter Pan & Wendy » publié chez Didier Jeunesse, j’ai dû intégrer de vrais décors foisonnants, apporter du relief, des strates pour créer un univers de jungle que le texte évoque, et j’ai beaucoup travaillé en découpage pour pouvoir le faire.
Aujourd’hui, je travaille soit en colorisation numérique (pour la série Bulle et Bob, pour la presse…) soit sur papier pour l’édition, les affiches, la déco ou bien je mixe les 2 parfois… et j’utilise aussi bien la peinture, l’encre, les feutres, les crayons de couleur que le découpage avec des tas de papiers collectionnés, de récup’ ou achetés à droite à gauche…
Dans la jungle – Décoration murale pour la Cité des Sciences 2020
C’est difficile de trouver son style ?
Je dirais plutôt que c’est difficile d’en sortir. Au fur et à mesure, c’est un peu comme un savoir-faire, il devient parfois compliqué d’expérimenter en dehors des habitudes qu’on a prises. Dans le style, il y a une même énergie, un même chemin qu’on emprunte, et qui rassure tout le monde d’une certaine façon… On vous reconnaît, on vous identifie et vous, vous savez à peu près où vous allez.
Je ne suis pas toujours à l’aise avec ça, parce que moi j’aime bien justement expérimenter de nouvelles choses et ne pas savoir où je vais. Donc je m’y adonne dans un processus parallèle, plus personnel, et moins professionnel (car personne n’attend un résultat à la fin), mais j’ai un peu de mal à créer des passerelles avec ces espaces de recherches dans mon travail d’illustratrice, car justement il y a toujours une attente de l’éditrice, d’un.e client.e… J’aimerais bien que mon travail d’artiste nourrisse plus mon travail d’illustratrice pour enfants, ça viendra un jour peut-être….
Est-ce qu’il y a des thématiques particulières que tu as à cœur d’aborder dans tes livres ? Qu’est ce qui t’inspire pour raconter des histoires ?
Quand j’ai commencé à écrire des histoires, j’étais beaucoup plus nourrie par mes propres souvenirs d’enfance que par l’observation du monde des enfants.
Dans mes premiers livres, mes préoccupations philosophiques, politiques traversaient mes histoires, même si elles restaient des histoires simples. J’étais très féministe. Dans les aventures d’Olga et sa bande, je voulais au départ créer un personnage qui n’avait pas de genre défini. Cependant il était difficile d’intégrer l’écriture inclusive dans les années 2000 et ça me compliquait trop les choses au niveau de l’écriture alors j’en ai finalement fait une fille, mais qui a gardé ce côté un peu indéfini au niveau du genre… Je voulais créer des personnages d’enfants comme dans la vraie vie, où les stéréotypes de genre ne sont pas si évidents malgré le matraquage culturel.
Mes préoccupations concernaient beaucoup la question du genre, mais aussi la domination, la propriété privée, le fonctionnement économique, bref tout un tas de questions politiques…
Dans ces petits livres, c’est comme si je lâchais un sujet qui me questionnait en tant qu’adulte, dans ce petit laboratoire de relations humaines qu’est la cour de récréation, pour voir comment s’en emparent les enfants.
Ça me fait penser à un film documentaire, « Récréations » de Claire Simon, dont je conseille vraiment le visionnage pour prendre la mesure de ce qui se joue dans la société des petit.e.s enfants, en cours de récréation, qui de loin, ont toujours l’air tout mignons !
Un ours, des ours – Editions Sarbacane, ouvrage collectif 2016
Et sur quoi travailles-tu actuellement ?
En ce moment, je travaille comme illustratrice sur divers projets hors édition (communication, presse…) et je prépare un nouvel album de la série Bulle et Bob, avec Natalie Tual.
Je prépare aussi divers projets pour la rentrée 2022, dont un concert dessiné avec Ceilin Poggi (Berceuses et Baladines Jazz chez Didier Jeunesse) qui sera joué à la Philharmonie en novembre 2022.
Côté livre, j’ai mis le holà sur mon travail d’illustratrice pour me consacrer plus à l’écriture. Je travaille en ce moment à mon rythme sur un premier roman pour adolescent.e plutôt dystopique, et d’autres textes qui sont en cours d’écriture.
Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Après avoir dessiné des bébés et des jolies choses toutes ces dernières années, je rêve parfois d’avoir une carrière un peu plus rock’n’roll 🙂
Portrait d’Ilya Green dans son atelier
Retrouvez les images d’Ilya Green sur Kreamondo
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