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23 septembre 2022

Karen Petit, la terre à l’état brut

La céramiste Karen Petit nous partage son parcours, son processus créatif, et nous livre aussi et sans langue de bois, ses doutes et les difficultés de son métier. Un échange à l’image d’une personnalité instinctive, généreuse et passionnée par sa matière.

Karen Petit

Commençons par revenir sur votre parcours : comment êtes-vous devenue céramiste ?

J’ai toujours été attirée par le domaine artistique. Ça a commencé au lycée avec une option artistique. Après, j’ai fait une formation d’éducatrice spécialisée, pour gagner ma vie, et aussi parce que j’aime les relations humaines. Mais il faut reconnaître que ce métier est assez violent et difficile, et j’ai eu une grosse remise en question.
Je me suis dit que j’avais envie de retourner vers une activité plus douce, poétique, créative. Et de faire des choses par moi-même et de mes mains.

Comment vous êtes-vous lancée ?

J’ai d’abord fait une formation en céramique, un an durant. Et je me suis installée directement dans mon atelier, en 2011.
Il a fallu du temps pour s’établir, trouver sa patte. D’abord, il a fallu acheter du matériel, car céramiste, c’est un métier qui coute cher. Puis j’ai beaucoup, beaucoup travaillé à l’atelier, me confrontant sans cesse entre ce que j’aurais aimé faire et ce que je savais vraiment faire.
Ce n’est qu’en 2013 que j’ai fait mes premiers marchés, notamment avec une collection grâce à laquelle on m’a repérée, la collection Les Eclats, alliant sculpture et utilitaire. Car en fait, j’ai commencé par la sculpture puis suis venue rapidement à l’utilitaire, c’est-à-dire des créations que l’on peut utiliser quotidiennement.

Pourquoi le choix de la céramique ? Quel rapport entretenez-vous avec cette matière ?

Mon activité aurait pu porter sur autre chose que le travail de la terre. Par exemple, j’aime et pratique beaucoup le dessin. Pendant ma formation d’éducatrice, j’avais fait un stage de poterie qui m’avait bien plu.
Au début, je voulais travailler la terre blanche, car j’étais attirée par le blanc, et je n’étais pas inspirée par la faïence. La porcelaine, c’est plus robuste, mais très difficile à travailler, notamment au début. J’ai commencé à travailler avec du grès blanc, et ai sorti ma première collection, dite Cappucino. Inspirée par le peintre Morandi et sa nature morte, et on me disait d’ailleurs souvent qu’il y avait des liens entre mon travail et celui de ce peintre.
Puis j’ai vite rajouté de l’or.

Vous avez une esthétique très marquée. Comment en êtes-vous arrivée à trouver votre univers esthétique ?

Il est intimement lié à la matière que je travaille. Ce n’est pas la virtuosité technique qui compte, mais ce que raconte la matière, son toucher. J’ai un véritable amour de la pierre. Par exemple, en ce moment, mon grès est très lisse, saveur vanille.

Outre le peintre Morandi, quelles sont vos influences ?

A la base, elles sont assez art déco, avec ce travail de ligne, cette géométrie, l’utilisation du métal. Mais ce sont surtout mes voyages qui m’inspirent. Par exemple, ma dernière collection, Temple, est inspirée d’un voyage que j’ai fait en Thaïlande. J’ai passé beaucoup de temps dans des grottes, avec un extérieur de pierre, et remplies d’or à l’intérieur. Du coup, j’ai mis de l’or dans mes pièces, à l’intérieur, pour y rajouter ce coté sacré et intime.
Je travaille plusieurs collections en même temps, et chacune d’elles est une histoire, une inspiration différente.

Qu’est-ce qui caractérise vos créations ?

Je dirais un esprit épuré, sensible, une recherche de silence. Avec un peu d’or, qui rehausse un détail, donne du mouvement. Mais je ne n’émaille qu’avec parcimonie, car j’aime que la terre respire.

C’est d’ailleurs assez étrange, car j’aime plutôt acheter des collections pincées, dessinées, avec du relief. Mais ce qui sort de moi, ce sont des choses plutôt nettes, avec toutes les contraintes techniques qui vont avec d’ailleurs (par exemple, les défauts y sont plus visibles). Cette recherche de netteté vient contrecarrer quelque chose de moi, car j’ai une nature éparpillée alors que mes créations viennent apporter quelque chose de clair et de calme, à l’inverse de ma nature.

Quelle est la journée idéale de Karen Petit ?

Quand mon compagnon lave la gazinière ! (Rires). Non, plus sérieusement, ça dépend de mon humeur. J’aime avoir le temps le matin, pour boire un café en terrasse, par exemple. J’aime avoir assez peu de tournage à faire à l’atelier, car s’il a l’avantage de recentrer, et un coté assez méditatif, le tournage peut casser ma créativité car c’est un geste répétitif. Très vite ça m’abrutit. Et puis c’est physique aussi.
Ce qui j’aime aussi, c’est ne pas être dans le stress d’une commande, d’une échéance. Ca me permet de créer à mon propre rythme.
Ah, j’oubliais : une journée idéale, c’est un four qui fonctionne ! Car à chaque fois, c’est toujours un stress d’ouvrir son four.

Et votre moment préféré ?

Celui où je passe à l’or. Parce que c’est l’étape finale, la 3e cuisson, et je m’y retrouve aussi très bien car ça relève du dessin. Cela demande de la minutie, de la concentration, et c’est l’étape de finalisation de sa pièce. Je suis plus inspirée le matin, car il y a une énergie, une fraicheur créatrice qu’est celle du matin.
L’inconvénient, c’est que quand je passe de l’or, je ne peux plus rester dans l’atelier, car sa cuisson dégage trop de gaz toxiques. Donc je fais plutôt du tournage le matin, d’autant que c’est plus physique, et l’après-midi j’émaille ou je façonne.
Mais les journées ne sont jamais les mêmes, car il y a trop d’étapes différentes.

Dans quel contexte créez-vous ?

Sur le plan sonore, en ce moment, j’aime travailler en silence, car j’ai un bébé, donc le silence me fait du bien ! Sinon, ça dépend, j’écoute de vieilles musiques sur CD, des classiques, ou la radio, France Culture,…

Pouvez-vous nous décrire votre atelier, son ambiance ?

J’ai un atelier traversant, lumineux, composé de trois 3 pièces. Une pour le tournage, l’autre pour l’émail et le séchoir, une troisième avec un four. Et qui fait aussi office de pièce d’entrée, de lieu de stockage.
Mon problème, c’est la différence entre la réalité de mon atelier et ce que j’aimerais bien. Je rêve d’un atelier tout propre, rangé et épuré à l’image de mes pièces, mais c’est tout le temps le bazar ! Mon atelier, c’est aussi un endroit intime, où j’entrepose des objets que j’aime bien, des essais, des pièces ratées. Il n’est donc pas visitable !

Etre céramiste professionnelle, vivre de sa création, qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Honnêtement, il y a une vraie dureté dans ce métier, au quotidien. C’est un métier très difficile, avec pleins de casquettes. Ce n’est pas juste la création, c’est gérer une vraie entreprise.
Comment vendre ? Faire les marchés, les salons, travailler plutôt avec les boutiques, ou les plateformes ? Comment prendre le temps de sa communication sur les réseaux sociaux, et faire du « instagrammable » alors que pour moi, la matière doit d’abord se toucher (même si je joue le jeu des réseaux sociaux malgré tout) ? Sans même parler des questions financières avec notamment l’augmentation du coût de l’énergie, car mes fours sont énergivores.
Je me pose d’ailleurs régulièrement la question du retour au salariat et à un métier plus « traditionnel ». Même si j’aime la liberté, et je ne sais pas si je serais capable de « retourner dans le cadre », d’avoir des horaires précises, etc.
Bref, je le dis franchement : tout ça est très difficile, et c’est plus un choix de vie. Le côté créatif, c’est top, mais il peut s’estomper à cause de toutes ces contraintes, commandes, échéances, urgences…

Vous exercez depuis plus de 10 ans maintenant. Le secret de cette longévité ?

C’est simple : beaucoup de travail, et peu d’exigences financières.
Je pense que si je dure, c’est parce que je mets une âme dans mes objets. Je ne vis que de mes ventes, je ne donne pas de cours. Et j’aime créer des histoires autour de mes pièces. Bref, c’est difficile de durer, mais ça va, je tiens…

Retrouvez Karen et ses créations sur Kreamondo

 

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