Katell Leclaire – La bijouterie éthique qui vous ressemble
Katell Leclaire est bijoutière-créatrice, elle a ouvert un atelier-boutique, elle est aussi directrice des Ateliers K, un organisme de formation qui forme des solo-entrepreneurs dans le développement de leur activité de création. Katell est une créatrice particulière, elle n’utilise que des matériaux éthiques ! Nous nous sommes entretenus avec elle pour en savoir plus…
Après un début de carrière en Angleterre, vous vous installez à Dinan, en Bretagne. Pourquoi ce choix ?
À l’origine, je suis de saint Lunaire, c’est à côté de Dinan. A mon retour de Londres, j’y suis revenue. Mais c’est une ville de campagne où il ne se passe pas grand-chose. Je voulais une boutique avec pignon sur rue ! Donc je cherchais… Et lors d’un salon à Dinan, j’ai rencontré deux sœurs qui tiennent un atelier-boutique de vêtements (Tartine de Laine) près de la rue du Jerzual. Elles m’ont indiqué qu’un lieu allait se libérer. Je suis allée le visiter et j’en suis tombée amoureuse ! Pourtant, je n’ai pas osé tout de suite. Je ne me sentais pas capable de sauter le pas… Et puis la vie m’a amenée à repasser devant, longtemps après. La boutique était toujours disponible. J’ai confronté mes peurs et j’ai foncé ! Parfois, la vie lance des signes et si c’est la bonne voie, elle insiste. Alors il faut y aller !
Vous réalisez des bijoux en métaux précieux et pourtant, ils sont éthiques ! Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’argent est recyclé. Souvent, on me demande si c’est moi qui le recycle, mais ce n’est malheureusement pas le cas, car je n’ai pas le matériel et cela prend beaucoup de temps. C’est donc mon fournisseur qui le récupère et le raffine. Il met ensuite l’argent sous forme de métaux apprêtés que j’utilise pour mes réalisations. L’argent est 100 % recyclé. L’or et les pierres sont éthiquement minés, autant que possible. J’ai trouvé un fournisseur qui se déplace directement dans les mines des différents pays, et notamment en Amérique du Nord pour chercher des petites mines indépendantes, qui n’utilisent pas de produits chimiques mais plutôt des pratiques modernes respectueuses de l’environnement et de la santé des mineurs, où les droits humains sont respectés, et où il n’y a pas d’exploitation d’enfants ! Enfin, les entreprises familiales sélectionnées replantent les arbres une fois qu’elles ont terminé leur processus d’extraction.
Quand vous dîtes qu’ils replantent les arbres, c’est-à-dire ?
Dans les minerais, la plupart du temps, les extracteurs de pierres détruisent tout. Ils déforestent, utilisent des produits chimiques, puis ils laissent le lieu à l’abandon quand il n’y a plus rien à prendre. Et ne parlons pas des droits humains ! Pour le diamant, on connaît l’histoire du Blood Diamond. L’or, c’est pareil, on appelle ça « l’or sale ». Quand j’ai commencé à travailler, j’ai retracé le processus pour le diamant. Bien sûr, il y a les problèmes que pose l’extraction, que tout le monde connaît, mais il y a aussi des problèmes pour la taille. À l’époque, c’était en Inde, ils recherchaient des enfants avec un œil « sharp« . C’étaient des enfants de 8 ans, qui travaillaient toute la journée la taille des diamants jusqu’à ce que la pierre atteigne la taille d’un grain de riz. Le soir, ils dormaient à même le sol à côté de leur plan de travail. On les appelait les “Sharp”. Il y avait tout un système basé sur l’exploitation de ces enfants. Ils avaient un jour de congé par an, durant lequel ils rentraient voir leur famille. Comme ils n’avaient pas suffisamment d’argent pour payer le transport, ils devaient faire un emprunt à leur employeur. Ces dettes, qu’ils ne pouvaient jamais rembourser, se transmettaient de génération en génération.
Pour toutes ces raisons, je ne veux pas toucher au diamant, qui n’est pas éthiquement miné ou qui n’est pas du diamant synthétique, et dont on ne peut pas suivre la traçabilité. Je veux avoir un processus propre, de l’extraction, à la taille. Pour le diamant éthiquement miné, il faut vraiment qu’il soit bien tracé. Je ne vais pas vous raconter tout le détail, mais même les certifications sont parfois trompeuses. Par exemple, le Kimberley Process a été détourné. C’est compliqué, c’est très compliqué d’avoir une traçabilité à 100 %. Mais bon voilà, pour l’or et le diamant, il faut faire très attention pour ne pas participer à un système sale et inhumain. Il ne faut pas croire tout ce que le Marketing veut nous inculquer, il faut fouiller.
Ça a dû être décourageant en début de carrière de mesurer la difficulté d’avoir accès à des matières premières propres, non ?
Lorsque j’ai commencé à Londres, j’ai été mise au courant, très tôt, durant ma formation, de tout ça. En Angleterre, ils étaient en avance sur la France. Ils étaient très au fait des filières qui permettent d’avoir accès à des pierres éthiquement minées et des métaux recyclés. C’était déjà quelque chose qui était monnaie courante, et bien connue des personnes. Quand je suis rentrée en France, ça ne se faisait pas vraiment. J’avais la chance de connaître tout ça et j’ai voulu la partager le plus largement possible. J’ai commencé alors à faire de la sensibilisation. Pour moi, c’est important d’informer les gens et de faire une différence dans ma fabrication, de créer de la valeur avec du métal et des pierres éthiques. C’est primordial d’éviter toutes les déviances qui peuvent avoir lieu dans notre secteur, pour ne pas qu’elles persistent.
Comment se déroule votre processus de création ?
Malheureusement, une grande partie de mon temps est occupée par la gestion de l’entreprise et de l’organisme de formation, et ça diminue mon temps de processus créatif. C’est une difficulté que nous sommes beaucoup à rencontrer : le temps administratif qui s’étend sur le temps créatif. Néanmoins, j’ai des moments de création pure où je pars d’une photo, d’un thème.
Je fais du moodsheet, et je développe une idée. J’utilise par ailleurs une méthode que j’appelle le Bijou Essence, qui me permet de faire des pièces réellement sur-mesure. Pour ce processus, je pars directement de l’individualité de la personne. Je travaille aussi plus instinctivement à partir de pierres que je veux magnifier. J’utilise aussi des techniques plus intuitives qui permettent de laisser parler la matière. Dans ce cas, je travaille au chalumeau, ou j’utilise des techniques de texturage à l’acide. Ce ne sont pas des techniques très précises ou figuratives. Cela donne un rendu un peu brut, mais tout en délicatesse. Mon objectif est de diminuer le temps de gestion pour consacrer plus de temps à développer des idées par le design. Pour créer, il faut avoir un train de vie hyper serein, il faut être en forme, il faut avoir du temps, se poser, mettre le calme à l’intérieur de soi. Réunir ces conditions peut être difficile, quand on est indépendant. L’inspiration ne vient pas sur un claquement de doigts et la gestion est très prenante. Mais j’ai envie d’y revenir. J’aime les grosses pièces, j’ai envie de mixer les matériaux et d’apprendre de nouvelles techniques, revenir au processus créatif pur. Mais il faut aussi prendre en compte les clients qui ont un budget moyen, et qui n’aiment pas forcément les choses très extravagantes. Il y a aussi cette réalité là, à mettre en balance avec le désir créatif qui emmène parfois vers le bijou d’art plutôt que vers le bijou quotidien.
Quelles sont vos sources d’inspirations ?
La nature, la sculpture, tout ce qui est de l’ordre de la structure. Mais là, ce dont je rêve depuis des années, c’est de matériaux organiques mélangés, par exemple du cuir, de la corne de zébu, du bois avec de la pierre et du métal, utilisé comme liant. Je veux mixer tout ça, faire des grosses pièces. J’ai envie d’apprendre la céramique, faire du sculptural, du volume. J’ai envie d’aller sur d’autres terrains, de découvrir d’autres techniques et de me réinventer. Ça fait très longtemps que c’est en moi, mais malheureusement j’ai dû différer ce désir. En ce moment, je sens que ça boue en moi et je suis en train de dégager du temps pour m’y mettre.
Qu’avez-vous envie de transmettre à travers vos créations ?
C’est amusant, il y a des personnes qui m’ont dit que porter mes pièces leur faisait du bien. Il y a même un monsieur qui m’a appelée pour me demander si « j’étais une fée”, car depuis le 1er jour où il a porté ma pièce, il m’a dit que tout ce qui était bloqué dans sa vie se réouvrait. On y croit ou pas, mais ça fait plaisir d’entendre ces choses-là. Si on est ouvert à tout ça, on peut se dire que peut-être que le métal qui est conducteur et a une mémoire, va absorber la passion qui a été mise lors de la création. Lorsque je crée, j’y mets mon plaisir et mes émotions. J’ai vraiment envie d’apporter de la valeur dans la vie des gens par mes créations, en faisant du bien aux personnes qui les portent. C’est aussi pour cela que j’utilise la méthode du bijou essence.
Qu’est-ce que c’est la méthode du “Bijou essence” ? En quoi cela consiste-t-il ?
Je me suis formée à la méthode du « Vêtement Chemin d’Eveil », elle même découlant de la méthode de la « Psycho-apparence ». J’utilise cette méthode dans le cadre de la réalisation sur-mesure de mes bijoux. C’est un mouvement qui se base sur l’idée que notre intériorité est reflétée par l’extériorité en fonction de trois axes, la color-analyse, la morphologie et les énergies (eau, feu, terre et air) qui nous traversent qui vont être retranscrites par les matières. À la base, c’est pour le vêtement, mais j’ai eu envie de le proposer comme grille de lecture conversationnelle appliquée au bijou. L’idée, c’est que nous sommes tous uniques car nous avons toutes ces choses, en nous, dans des ordres différents. On se sert d’un arbre de vie ou y a quatre dimensions : une énergie prédominante (l’espace du monde), l’espace des proches, l’espace de soi et l’espace de l’âme. Les quatre dimensions composent l’arbre de vie et on peut reconnaître ses traits de personnalité qui sont retranscrits par les éléments des 3 axes dans chacun de ces espaces.
Lorsque je réalise des pièces selon cette technique, je l’adapte et j’essaie de retranscrire ce portrait symbolique grâce au bijou. L’idée, c’est que le bijou reflète l’intériorité de la personne et soit sa continuité.
Vous avez aussi créé un organisme de formation : Les Ateliers K. Comment vous est venue cette envie ?
J’ai un centre de formation en solo depuis 2011. En 2019, j’ai travaillé sur l’agrandissement du centre avec Lucie qui est ma collaboratrice. Nous avons créé une équipe de formateurs, et nous avons ouvert des formations qui proposent des compétences transversales. Je le faisais déjà dans le cadre d’une formation au business plan pour des bijoutiers-créateurs qui voulaient se mettre à leur compte. Aujourd’hui, la formation proposée est plus complète. Nous formons à la technique de la bijouterie, ainsi qu’à la dimension stratégique (stratégie entrepreneuriale, marketing, création de contenu, etc.) Cela permet d’avoir une stratégie claire, alignée sur les valeurs du créateur et avec une identité forte dans le digital !
Et quelles sont les valeurs de Katell Leclaire ?
J’espère l’ouverture. Nous sommes obligés de rester ouvert, de s’adapter en permanence, c’est l’amélioration continue. Tout est en perpétuel mouvement, on ne peut pas rester sur nos acquis sinon on peut être « obsolète » très vite dans notre stratégie par exemple. Il faut toujours être à l’écoute des nouveaux concepts, et penser à de nouvelles idées et de nouveaux partenariats. J’ai travaillé en solo pendant très longtemps et je me suis épuisée. Aujourd’hui, je tends vraiment vers un travail collectif. J’apprends à déléguer et c’est génial ! C’est riche ! On travaille en synergie et on va beaucoup plus loin. On travaille main dans la main et c’est un vrai bonheur. On ne peut pas tout faire seul. C’est impossible et ça tue la créativité. C’est vraiment à partir du jour où j’ai commencé à travailler collectivement que je me suis le plus épanouie.
Une dernière question : quelle est la pièce que vous rêveriez de faire ?
Ma pièce rêvée ? C’est vraiment ce dont je parlais tout à l’heure ce mix de plein de matériaux avec de la corne de zébu, de la pierre, du bois,… Ce serait un énorme collier ! Une pièce qui adorne tout le haut du corps. Pas comme un sapin de noël mais quelque chose de très … organique et minéral avec le métal comme liant !
Retrouvez toutes les créations de Katell Leclaire sur sa page créateur.
Vous pouvez aussi réserver un atelier avec la créatrice pour créer vos propres bagues en argent recyclés ou alliances !
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