Lindsay Grime – un univers joyeux, coloré et engagé !
Illustratrice, peintre et créatrice d’objets insolites, l’artiste Lindsay Grime nous offre une vision onirique et poétique du monde. Ses créations aux multiples formes (fresques, tableaux, céramiques, boîtes en bois, instruments de musique colorés) mettent en scène des personnages humains et animaux qui vivent joyeusement dans une nature abondante et colorée. Rencontre depuis Glasgow.
Lindsay, d’où vient ton amour pour l’illustration ?
Je viens d’une famille d’artistes. Mes parents ont chacun une pratique artistique. Ma mère est céramiste et mon père sculpteur et peintre. Il a réalisé de grandes sculptures et fresques pour des commandes publiques. Il y a notamment une fresque assez connue dans Edimbourg qui parle de l’histoire du quartier et qui est apparue dans le film Trainspotting 2 !
Fresque à Leith, Edimbourg, par mon père Paul Grime
Céramique de ma mère Helen Kemp
Lorsque j’étais petite, je devais avoir deux ou trois ans, mon père est parti au Mexique, passionné par ses immenses fresques politiquement engagées.
Moi, j’ai toujours été obsédée par le dessin. Petite, mes parents me retrouvaient dans mon lit vers 23h endormie sur mes dessins. Je passais mon temps à dessiner, créer, découper.
Mes parents m’ont vraiment encouragée dans cette passion. Pour moi, il était tout à fait naturel d’aller étudier en école d’art quand pour certains de mes camarades intégrer l’école d’art d’Edimbourg était le fruit d’une véritable lutte au sein de leur famille pour assumer le choix d’une carrière artistique.
Aussi loin que je ne me souvienne, je crois que j’ai toujours su que je voulais étudier en école d’art. L’année qui a précédé mon entrée à l’école d’art d’Edimbourg, le travail de fin d’études des étudiants en illustration était incroyable ! ça m’a convaincue d’intégrer la spécialité illustration.
Quels artistes t’inspirent particulièrement ?
C’est assez classique comme réponse mais j’aime bien les peintres figuratifs comme Picasso, Chagall, Le Douanier Rousseau.
L’innocence archaïque, Le Douanier Rousseau – L’anniversaire, Chagall
Il y a aussi le peintre néerlandais Jérôme Bosch, plus ancien, qui appartient au mouvement des primitifs flamands du début XVIe siècle. Les peintres italiens de la Renaissance, voire de l’époque Gothique, me touchent beaucoup. C’est très illustratif, une image centrale, et autour, des cases comme une BD, pour communiquer avec un public à l’époque pour la plupart illettré. J’ai un intérêt tout particulier pour cette forme très narrative. Il y a surtout le tableau de l’Annonciation de Simone Martini, à Florence. Les personnages sont très émouvants, il y a une réelle tendresse dans les visages.
l’Annonciation, Simone Martini
Les miniatures perses m’inspirent aussi … En fait, j’ai un attrait pour l’absence de perspective, les peintures avant la perspective, où on retrouve une sensibilité pour les motifs, les détails. Ca rejoint un peu le côté icône. Les éléments sont un peu flottants, pas trop ancrés dans un paysage.
Khamza of Nizami
L’absence de perspective que tu évoques, les personnages un peu flottants, font penser à ton travail, en effet. Pourrais-tu nous décrire ton processus de création ?
Pour la céramique, je ne planifie pas trop. Parfois je commence juste à peindre. Je suis assez confiante, je n’ai pas peur de faire une erreur. Avec la céramique je me sens très libérée, très spontanée.
Mes illustrations s’inscrivent dans une lignée. Avec le temps, j’ai développé un peu une sorte de langage, un vocabulaire d’images. Il y a quelque chose avec la technique de la céramique, avec le geste qui suggère des formes, et puis la céramique est un objet 3D , c’est plus dure de planifier.
Céramiques, Lindsay Grime
Pour le reste, j’ai recours à mon carnet de croquis. Je planifie davantage comme pour les linogravures. Le cadre est plus précis, on est obligé de penser davantage la composition. Je vais faire des tout petits croquis. Pour les fresques, je pars de mes petits dessins et je les agrandis. Il y a quelque chose de plus vivant, plus direct qui émanent des petits dessins.
En ce moment, je suis plutôt dans une période céramique et linogravure. J’essaie de travailler une série autour de la fleur et du serpent, mon animal fétiche, enfin surtout pour son côté graphique.
Il semble que tout objet, tout support, est prétexte à la création. Comment es-tu passée du dessin à d’autres pratiques artistiques comme la céramique ?
Ma mère est céramiste. J’ai grandi au milieu de son travail, de son oeuvre sans me rendre compte de l’influence que celui-ci avait sur moi. Aujourd’hui, je voudrais donner beaucoup de crédit à ma mère. On partage une même sensibilité : la nature, les rêves, les personnages féminins.
Ukulele, Lindsay Grime
L’univers des rêves, des contes habitent tes créations. Est-ce que tu t’inspires réellement de certains contes ou rêves pour tes illustrations ?
Pour les peintures, ce sont plutôt des éléments de ma vie personnelle, des références à des personnes rencontrées, à des lieux visités, à des expériences vécues qui ont filtré dans mon imaginaire. De façon assez subtile, pas trop directe.
À un moment, je me suis beaucoup intéressée aux sorcières à travers des rassemblements féministes et anti-nucléaires, on avait des discussions sur la gynécologie, comment soigner avec les plantes, la nature. J’ai envie de représenter des femmes puissantes, déterminées.
Par exemple, ma peinture Le chantier représente des femmes qui détruisent la Défense, un monde masculin, celui des affaires et du capitalisme. À cette époque, je donnais des cours d’anglais à la Défense, je détestais cet endroit. C’est un peu ma revanche…
Le chantier, Lindsay Grime
À un moment j’étais assez engagée au niveau politique. J’aimerais bien que le combat féministe, écologique, filtre davantage dans mon oeuvre de manière plus ou moins explicite.
Y-a t-il une expression, citation ou leitmotiv qui te parle dans ton travail en tant qu’artiste ?
Il y a une citation de Picasso assez célèbre qui m’inspirait tout particulièrement lorsque je me sentais très engagée politiquement : “L’art peut être une arme politique”. Je l’ai vue inscrite lors de l’exposition Guernica au musée Picasso et elle me parlait beaucoup.
Cependant, je ne suis pas certaine que cette citation soit révélatrice de mon travail. Dans la mesure où je souhaite que quelque chose de joyeux, coloré, ressorte de mon travail, je pense surtout à Emma Goldman, cette philosophe anarchiste américaine du XIXe siècle, qui disait cette phrase très connue :
“Si je ne peux pas danser à la révolution, je n’irais pas à la révolution”.
Et effectivement, c’est une bonne raison pour faire la révolution: danser, être vivant, aimer la vie ! Il y a quelque temps, je confiais à un ami ma préoccupation, lui disant : “ le monde brûle et moi je fais des lino. Est-ce que ce n’est pas un peu futile ?” Mon ami m’a immédiatement répondu : “Faire de la création fait partie du monde que tu veux voir, alors non, cela n’a rien de futile ! »
Fresque Ménilmontant, Lindsay Grime
Quels sont tes nouveaux projets artistiques ?
Je commence une nouvelle BD avec Béatrice Fontanel. C’est notre deuxième collaboration après la BD sur la biographie de Hannah Arendt. Au départ pour cette nouvelle collaboration, nous étions parties sur la biographie de Lee Miller, mannequin, muse surréaliste et photographe américaine. J’ai d’ailleurs reçu une bourse de la CNL (Centre National du Livre) pour ce travail d’illustration, mais malheureusement la famille de Lee Miller a refusé de nous céder les droits de représentation car un biopic sur la photographe doit sortir prochainement…
Nous allons donc travailler sur un autre personnage féminin, une actrice dont je ne peux révéler le nom pour le moment. Un projet très enthousiasmant mais qui reste un beau challenge pour moi dans le travail d’illustration !
Lindsay Grime
Retrouvez les créations de Lindsay Grime sur Kreamondo.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.