Sabibiche – le graphisme sous l’angle du tufting
Il y a quelques semaines, nous avons eu la chance de visiter l’atelier de Sabibiche et de nous entretenir avec elle ! La créatrice revisite l’art de la tapisserie en déployant toute sa créativité, et applique ses créations graphiques au Tufting !
Tu nous disais tout à l’heure que tu venais de Paris. Comment es-tu arrivée à Bruxelles ?
J’ai fait un master en design graphique à l’ERG et après je suis restée, comme beaucoup de Français !
Qu’est ce que tu as aimé à Bruxelles ?
J’ai l’impression qu’il y a plus de possibilités à Bruxelles pour démarrer de nouveaux projets, et je m’y sens bien.
Tu as donc fait des études de design graphique à l’ERG. Comment en es-tu arrivée à la tapisserie ?
Je suis encore graphiste à temps partiel. Pour la tapisserie, j’ai l’impression que c’est un peu une suite logique. En fait, je faisais beaucoup d’illustrations quand j’étais étudiante, juste pour moi, en dehors de ma formation. Dès que j’en avais la possibilité j’injectais mes illus dans des projets plus scolaires. Je faisais aussi beaucoup de collages. Je pense que ça se ressent encore un peu dans mon esthétique… J’adore composer avec des textures, des couleurs etc. J’ai fini par passer au collage numérique, je trouvais que c’était un bon moyen de m’amuser plus rapidement et d’expérimenter facilement. J’ai alors commencé à travailler en série. Et puis le textile et ses possibilités de textures sont arrivés. J’ai donc fait du tissage. C’est quand même du travail parce que traduire quelque chose de plat, comme une illustration, en objet c’est compliqué !
Plus tard, j’ai découvert le tufting, tout à fait par hasard ! C’était une de ces nuits, entre deux et quatre heures du matin. Je me suis retrouvée sur une vidéo youtube qui montrait du tufting avec le pistolet à tufter et j’ai été totalement fascinée. À partir de là, j’ai commencé à faire des recherches et mes amis m’ont offert mon premier tufting gun ! Ils m’ont dit : « C’est vrai que quand on regarde ton travail d’illus, ça parait évident ! ». Et en effet, quand je regarde tout mon travail jusqu’au tufting, j’ai l’impression que c’était un travail préparatoire à ça. Après leur cadeau, j’ai acheté des pelotes et j’ai commencé à expérimenter.
Ça fait combien de temps maintenant que tu tuftes ?
Deux ans… peut-être un peu plus. J’ai du mal à évaluer entre le temps de prendre la main, faire des recherches, d’accumuler du matériel.
Est-ce que le passage au tufting a changé quelque chose dans ta façon de concevoir tes illustrations ou tes collages ?
Pas forcément… Si un peu quand même ! Le collage c’est de la pure composition, ça tient à rien d’autre. Même avec un papier d’une même couleur on peut faire plein de choses. Avec le tufting, je me suis encore plus concentrée sur cette vision de la composition, qu’on a avec le collage. Surtout que le tufting produit des objets qui ont vraiment vocation à occuper l’espace. Alors maintenant quand je fais un brouillon de design, je le retourne dans tous les sens, j’imagine comment il peut vivre dans une pièce, si on le regarde dans un sens ou dans l’autre. Parfois, même lorsque je dessine pour moi, j’ai tendance à regarder mes dessins sous l’angle du tufting.
C’est donc vraiment au niveau de ta perception que ça t’a transformée ?
Exactement !
Qu’est-ce qui t’inspire ?
Mon inspiration première, ce sont les couleurs en elles-mêmes et les formes. Il m’arrive parfois de travailler juste des formes. Je vais bien aimer l’énergie qu’il y a entre deux formes. Alors je m’arrête dessus. Je me concentre sur le contraste, la force qui se dégage. Et à partir de ça, je vais travailler tout ce qu’il y a autour pour conserver l’énergie présente entre ces deux formes. Ensuite, c’est un travail de recherche de couleurs : essayer de trouver des couleurs qui évoquent l’énergie, la sensation première. C’est vraiment un langage entre les formes et les couleurs qui en découle.
J’ai aussi un catalogue personnel de design que j’envoie aux personnes qui sont intéressées par mes créations. Il peut arriver que les couleurs ne conviennent pas tout à fait aux tons qu’elles ont développés dans leur intérieur. Je leur demande alors de m’envoyer des photos et je leur fait une proposition basée sur les games de couleurs présentes chez elles.
Est-ce qu’il y a des artistes, ou des courants esthétiques qui t’inspirent particulièrement ?
Oui bien sûr, les artistes qui m’inspirent le plus sont évidemment Henri Matisse, Josef Albers, Helen Frankenthaler, Etel Adnan… toujours dans la couleur !
Tu évoquais l’importance que tu donnes aux textures quand tu fais du collage. Est-ce que tu développes également quelque chose de similaire avec le tufting ?
Pas encore, mais ce n’est pas exclu ! Je conçois des objets, qui vivent dans des espaces et il y a énormément de textures possibles… J’ai comme objectif de travailler avec différentes textures en jouant sur les longueurs. En passant à la fois par la tonte mais aussi par la pression que j’émets avec le pistolet à tufter. Ce sont des variations que j’ai vraiment envie d’expérimenter mais je n’y suis pas encore. Du coup, pour le moment, j’ai un peu de mal à me projeter sur ce que je pourrais faire à ce niveau là, autrement que dans une idée esthétique.
Quelles sont les étapes de ton processus de création ?
Je commence très simplement par le design. Une fois que celui-ci est terminé, j’étire une toile, qu’on appelle une “monk cloth”. Elle a une trame assez large, aérée, ce qui permet que le fil passe aisément sans se déformer. Une fois que la toile est bien tendue, que j’ai une bonne pression, je retrace le visuel dessus au rétroprojecteur ou à main libre, si j’ai envie de faire quelque chose de beaucoup plus » jeté « . Je sélectionne ensuite les couleurs. J’ai un petit rembobineur qui me permet de les dérouler plus facilement lors du tuftage sans qu’elle me coupe dans le processus. Après je fais mon petit calcul pour savoir de combien de pelotes j’ai besoin. Et ensuite le tuftage peut commencer !
Je fais passer le fil à l’intérieur de mon pistolet. Et il y a deux niveaux à l’intérieur qui font des allers-retours constant pendant tout le tuftage. Sur le dessous se trouve une paire de ciseaux qui coupe le fil à chaque fois qu’il traverse la toile. L’endroit où j’appose le pistolet à tufter, c’est l’arrière du tapis. Les points de tuft consiste en une succession de U qui vont donc former le tapis. Je réalise le tapis couleur par couleur, dans l’ordre que je préfère, en essayant d’aller toujours de l’intérieur vers l’extérieur, pour ne pas avoir de problème de pression.
Lorsque le tuftage est terminé je viens appliquer une colle à l’arrière pour sécuriser le tissage. On peut tirer les fils, ils ne se détacheront pas. Le séchage de la colle dure 24 heures. Je découpe ensuite les marges de fils autour du tapis. Puis je réalise un gabarit avec du coton bio que je couds. Et enfin je termine par une tonte pour un rendu très lisse.
Tu vois l’avenir comment ?
Je suis encore graphiste à mi-temps mais, j’aimerais pouvoir vivre de ma passion et faire de plus gros projets. J’avais une expo prévue à Belle Île, en Bretagne cet été, mais elle a été reportée. Avec le Covid toutes leurs expos sont décalées. Dans le cadre de cette expo, je devais travailler de très grands formats et notamment des formats muraux. Par ailleurs, j’ai aussi des collaborations à venir avec des personnes qui travaillent sur la conception et création d’objets. L’idée serait de joindre le tufting à la réalisation d’objets. À l’avenir j’ai envie de trouver de nouvelles voies pour faire vivre mes tapisseries autrement !
Est-ce que tu penses à réaliser d’autres objets que des tapis ?
Oui complètement! J’ai envie d’explorer tous les possibles du tufting ! J’ai pensé à faire des sacs à main, des coussins, des tabourets…J’ai plein d’idées mais je dois continuer de perfectionner ma pratique du tufting. Il faut voir le tufting comme du tissu pour imaginer tout ce qu’on peut faire avec !
Ton étape préférée ?
Je ne sais pas trop, mais je sais laquelle je déteste ! J’ai toujours beaucoup d’appréhension à la fin, au moment de tondre les tapis. Quand j’y ai passé entre six jours et deux semaines… Il suffit d’un mauvais coup de tondeuse, et c’est la fin du monde ! Le tapis est fichu.
Pour revenir à mon étape préférée… C’est le tufting tout simplement. J’adore voir le remplissage des couleurs, et voir le tapis naître ! C’est incroyable, tu tuftes d’un côté, les couleurs explosent en touffe de l’autre. Il y a un côté fascinant, hypnotique, magique !
Je passe tout mon temps libre à tufter. Malgré le Covid et les longs confinements, je ne me suis pas ennuyée une minute. Je tuftais. C’est vraiment le bonheur de réaliser des objets qui vont faire plaisir aux gens, au quotidien.
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Retrouvez les illustrations et tapis de Sabibiche sur son profil créateur Kreamondo
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